Ma grand-maman s'est éteinte dans la nuit comme elle le voulait.
Elle voulait s'endormir et ne pas se réveiller.
Elle disait que le bon Yieu l'avait oublié.
Elle a mis au monde 17 enfants.
Elle disait que c'est les deux fausses couches qui avaient été le plus difficile. On saigne beaucoup.
Elle a perdu deux enfants en bas âge.
Elle a perdu trois grands en haut âge (dans les soixantaine).
Quand je lui ai parlé avec l'ordinateur, sur Skype, la dernière fois, j'ai pu lui dire que je l'aime. Quand je l'ai vu la dernière fois, je lui ai dit que mes trois oncles l'attendaient au ciel pour faire un "parté". Ma grand-mère ne boit même pas. Elle avait toujours un sourire pour nous dire qu'elle comprenait. Elle avait toujours tout compris. Elle était la dernière à partir dans les fêtes. Je suis toujours restée avec l'impression qu'elle n'était jamais fatiguée.
C'est pour elle et par elle que dans mon cœur j'allais avoir beaucoup d'enfants. Je ne sais même pas si on dirige notre propre vie. Je pense que par désir on en oriente une grosse partie. J'ai toujours dit que j'aurais des enfants et que si je ne pouvais pas en avoir, je les adopterais. J'ai enfanté cinq fois. j'aimerais bien raconter chacun des mes accouchements. Chacun a, sa merveilleuse histoire. Mais là, je vote pour le dernier.
Je suis devenue enceinte avec grande surprise. Ma maison était nouvelle. Mon char était nouveau. Mon iPod était neuf. Mon conjoint venait tout juste d'entrer dans ma nouvelle vie. Et comme des enfants, j'en avais assez, je ne voulais pas en avoir un de plus. Dure. Grand-maman m'a toujours dit que plus il y en a, plus ils s'élèvent tout seul. Le plus difficile c'est d'en avoir huit avec le plus vieux qui a huit ans. J'allais donc avoir cinq enfants. Mon nouveau conjoint a un garçon. L'accouchement avait été horrifique (bébé pris, bassin trop petit, césarienne et j'en passe ...) Puis, j'accepte. Nous allions avoir un bébé, ensemble.
Pendant un festival de musique, je croise mon amie. Je lui annonce la nouvelle. De ses grands yeux bleus, elle me demande:" Tes autres accouchements, Y se sont bien passé?" Moi de lui répondre avec mon grand sourire: "Ils sont tous sortis par le même trou!" On a rit. Elle me demande si j'avais pensé à la maison des naissances. Jamais dans les fait, elle sollicite sa clientèle. Elle est sage femme, voyez-vous! Elle a étudié en Ontario et est une des premières à avoir pratiqué légalement au Québec.
Mon conjoint, de sa mauvaise expérience et moi, du système de santé rassurant et hermétique en quoi je croyait, décidons d'aller visiter un lieu de naissance différent.
Nous en sommes sorti emballés. De fil en aiguille, notre sage femme nous propose d'accoucher à la maison. La relation est tellement différente entre l'organisation d'un accouchement à l'intérieur du système de santé aseptisé et l'organisation d'un accouchement à l'intérieur de la maison des naissances. Comme j'ai une garde partagée, une semaine sur deux, nous décidons d'accoucher à la maison des naissances à 40 km si les enfants sont avec nous. J'aurais un peu de répit. Si les enfants ne le sont pas, nous accoucherons à la maison. Notre sage femme habite à deux rues. C'est facile et c'est un plan parfait.
Mais voilà, j'ai eu un soir de fausse alerte. J'ai eu un soir et une nuit où mon corps s'est tout simplement pratiqué et les enfants n'étaient pas là. Deux sages femmes sont débarquées avec trois énormes valises d'équipements: une valise pour le bébé, une valise pour moi et une valise pour elles. J'ai compris que la formation actuelle des sages femmes est celles des infirmières spécialisées en accouchement avec un baccalauréat de 4 ans. J'étais chez moi. Pas de voiture. Pas de valise. Pas de souci.
La semaine suivante, le vrai travail a commencé. Les enfants étaient chez nous. Je ne voulais pas embarquer dans un char. Alors, trois sages femmes sont débarquées avec "tout le bataclant". J'avais une personne pour m'accompagner. Une personne pour le bébé et une stagiaire. J'avais mon amoureux, mon lit, mes affaires.
Je me rappelle du travail. Je respirais de mon mieux et malgré tout, ça faisait MAL. J'ai fait promettre à mon amoureux de me rappeler que je n'en voulais plus d'autre (enfant).
Je me rappelle m'être dirigé vers le lit en me demandant comment j'allais me placer. J'étais habituée aux étriers, coucher sur le dos. Ma tête, toujours en transe, j'entendais une douce voix (celle de ma sage femme) me dire que mon corps saurait quoi faire.
Je me rappelle d'avoir hurlé de douleur et de supplier de crever mes eaux. Ce que ma sage femme a essayé de faire en vainc. Je savais que dans moins d'une demi-heure, la boule serait sortie.
Je me rappelle d'avoir eu un méga-versement. Les eaux se sont crevés tout seul. Ce n'était pas grave. Mon lit était fait. Mon rideau de douche était par dessus. Le lit d'accouchement était prêt et les sacs de plastique aussi.
Je me rappelle avoir entendu ma douce voix me dire de me diriger vers la tête du lit. Dans ma tête, les contractions tellement intenses et douloureuses me faisait voir la tête du lit loin, loin, loin... Comme Tombouctou, je vous le dis. J'étais lourde comme un phoque et je trainais tous mes membres. Mon amoureux était là. Je savais qu'il souffrait avec moi. J'ai vu son bras se placé pour que j'appuie ma tête. J'ai vu ma sueur coulée de mon front et je me suis dit que mon corps travaillait si fort. J'étais à quatre pattes et j'ai entendu la douce voix me dire qu'il ne resterait qu'une poussée. La tête bien installé dans l'entre-jambes. J'ai senti à peine la brûlure puis j'ai poussé en même temps qu'une contraction. C'est maintenant que ça sort, que je me suis dit. J'ai entendu un gros "flock à flock" et ma douce voix me dire de l'attraper par en dessous. Mon dieu qu'elle était grosse. Son cordon était énorme et je pèse mes mots, le bébé aussi. Protégée dans un duvet blanc, elle s'est mise à respirer tranquillement sans pleurer de douleur. Elle a pleuré de la vie.
Je me rappelle que mon conjoint a dit qu'il voyait les yeux de sa mère. Je me rappelle de n'avoir rien ramasser. Je me rappelle que le placenta était entier. Je me rappelle d'avoir été recousu. Ma grand-mère m'a raconter qu'elle, elle ne l'a jamais été. Que ça coutait moins cher d'accoucher avec la garde Maillou (2 piasses) que le médecin (7 piasses). De toute manière il avait jamais le temps de se rendre. Combien de fois ma grand-mère à accoucher toute seule? Elle m'a dit qu'elle accouchait le soir parce qu'il fallait travailler dans les champs, le jour, pour ramasser les patates. Dans les moments difficiles, je pensais à elle. Ça va rester comme ça.
Mon conjoint m'a raconté que nos co-locataires n'ont pas dormi. Il m'a dit que dans la cuisine, il se tenait debout avec notre petite dans les bras. Elle était en sécurité, emmaillotée, avec une jolie tuques rose. Mes enfants ont dormi, paisiblement au sous-sol, toute la nuit. Ma deuxième est montée et en ouvrant la porte. Elle a vue: mon conjoint se tenait debout, la petit dans ses bras, la tuque qui dépassait. Un co-loc de 6 pieds à ses cotés qui se faisait un café. Elle a dit: "Aglaé, Aglaé est née!" Notre coloc avait les larmes aux yeux, son père aussi.
Je me rappelle que les enfants ne sont pas allés à l'école. Ma belle-mère est venue avec son petit-fils. Notre famille s'est agrandi. Une très belle journée d'avril.
Il y a 4 ans de cela. La vie commence. La vie finit.
J'ai souvent des discussions sur la mort et je pense qu'on ne peut plus mourir de vieillesse. On doit mourir du cancer. On doit mourir d'un AVC. On doit mourir d'un embolie pulmonaire. On doit mourir de la grippe. Mais on ne peut pas mourir de sa belle mort, comme grand-maman disait.
Je sais que le temps étanchera ma peine, celle de ma grande très grande famille aussi.
C'est extraordinaire parce qu'elle est morte comme elle le voulait, avec toute sa tête, à 98 ans et 9 mois.
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